Huit ans après avoir mis les pieds une première fois à la Maison Blanche, Donald Trump est de retour. Alors que le milliardaire américain devait prononcer ce lundi son discours d’investiture, avant de prendre officiellement ses fonctions de 47e président des États-Unis, Le Quotidien a recueilli le témoignage de quatre médecins et chirurgiens français installés de longue date outre-Atlantique. Chacun à leur manière, ils vivent dans leur pratique les répercussions des décisions prises par Washington. La réélection de Donald Trump, président clivant dont la politique désarçonne autant qu’elle séduit, est pour certains une source d’optimisme, pour d’autres un motif d’inquiétude.
Le prix des médicaments, « souci constant »Aux États-Unis, le fonctionnement du système de santé dépend étroitement du système assurantiel public (à travers les programmes Medicare et Medicaid) et privé. Cette dichotomie a un impact direct sur l’accès aux soins et influe sur la vision qu’ont les quatre Français de la politique sanitaire de leur pays d’adoption.
Installé dans le privé depuis 1990, le Dr Joël Wiszniak, 72 ans, est dermatologue à Miami. Au fil des années, il a perçu au sein de sa patientèle « suburbaine, qui va de personnes très modestes à très aisées avec une grosse communauté latino », un « désenchantement, voire une irritation » s’installer. « Je m’interdis de parler politique au cabinet mais j’entends le ressenti de mes patients, témoigne le médecin. L’immigration, le coup de la vie, la politique, tous ces sujets les agacent. Avec, toujours, en arrière-plan, le souci constant du prix des médicaments. »
Lui a constaté avec amertume des effets de bord de l’Obamacare, grande réforme du système de santé emblématique du premier mandat du président Barack Obama, dont l’objectif était d’étendre la population couverte par Medicaid (assurance publique pour les plus démunis) et d’aider les Américains à souscrire une couverture santé individuelle. Depuis le premier jour de son premier mandat, Donald Trump a multiplié les actions pour en réduire la portée ou la contourner.
Dans son cabinet, le Dr Wiszniak a constaté une forme de « discrimination » persistante dans l’accès à certains produits de santé. « Dans ma spécialité, une crème hyperefficace va être proposée à un prix très abordable aux moins de 65 ans [pour qui l’employeur finance autour de 75 % en moyenne une assurance privée solide, NDLR] mais coûtera 1 500 dollars pour d’autres patients, c’est une situation qui m’irrite », narre celui qui espère que Donald Trump « reprendra le flambeau de la normalisation du prix des produits et médicaments ». Comme une majorité de ses patients, dont l’« enthousiasme pour le retour de Trump est évident », le Dr Wiszniak est avide de « changement ».
Les assurances toutes puissantesLe « changement », c’est aussi ce qu’espère le Dr Benoît Herbert pour les États-Unis. Dans ce pays qu’il « adore », où il vit depuis dix ans et termine son fellowship [surspécialisation, équivalent de notre clinicat] en chirurgie cardiothoracique à Indianapolis, le spécialiste de 40 ans constate lui aussi les difficultés d’accès à certains médicaments. Avec le retour de Donald Trump, il « espère qu’on va revenir avant 2008 ». « L’obligation d’assurance qu’Obama a imposée a entraîné des situations difficiles pour ceux qui ne voulaient ou ne pouvaient pas payer quelque 6 000 dollars par an, argumente-t-il. Très fréquemment, on voit des patients qui ont changé de travail et d’assurance privée et ne peuvent plus payer leur traitement. C’est le cas avec le Xarelto (rivaroxaban), un nouvel anticoagulant oral [pour traiter et prévenir les caillots sanguins, NDLR] qu’on prescrit de plus en plus. En tant que médecin, la question de l’assurance se pose souvent. Car si le patient en est dépourvu, il devra être sous Warfarine (coumadine) avec une surveillance accrue. Ce n’est pas insurmontable, mais cela réclame de notre part des ajustements. »
Le médecin attend aussi des actes concrets sur la prévention, la transparence sur les vaccins et l’alimentation, chevaux de bataille de Robert F. Kennedy Jr, potentiel et controversé secrétaire d’État à la Santé dans l’administration Trump. « En France, l’opinion de Kennedy Jr sur la vaccination paraît choquante [il a affiché son scepticisme à plusieurs reprises, NDLR], mais ici, elle est assez répandue, expose-t-il. Et moi, comme beaucoup d’Américains, je suis pour la liberté et pour le droit fondamental à la liberté vaccinale. »
Quel avenir pour Medicare et Medicaid ?Le Pr Cyril Mauffrey pose un regard radicalement différent sur la politique sanitaire passée et à venir de Donald Trump. Chef de service à l’hôpital universitaire de Denver, « ville qui a toujours voté à gauche » et qui se démarque en cela « des cow-boys des milieux ruraux du Colorado », le professeur de chirurgie orthopédique de 49 ans craint que le retour du Républicain ne se traduise pas une réduction des fonds dans son hôpital à but non lucratif, un établissement « qui s’occupe de tous les patients, avec ou sans assurance ».
Les précédentes tentatives de Donald Trump pour abroger l’Obamacare ont eu « un impact dramatique sur le plan clinique, détaille le chirurgien, car l’accès aux soins est le problème majeur aux États-Unis ». « En France, c’est le top, tout le monde peut consulter des grands spécialistes. Ici, tout est lié au financement. Couper Medicare [programme pour les personnes âgées, NDLR] et Medicaid, c’est supprimer l’accès aux soins de plusieurs milliers de patients. Heureusement, la beauté du système américain fait que tout doit être validé par le Congrès. »
« Grosse beigne »À 62 ans, le Dr Benoît Blondeau pose un « regard d’anthropologue » sur le système de santé américain. Chef de service de chirurgie générale et de traumatologie d’un hôpital régional à Saint-Paul (Minnesota), le Tourangeau initialement diplômé de médecine générale se rappelle encore la « trouille » qu’il a ressentie en 2017 quand le Sénat américain a failli valider l’abrogation partielle de l’Obamacare. Le vote de l'ex-candidat à la présidentielle, John McCain, avait alors été décisif. « Sans McCain, on avait 27 millions de patients à la rue », se souvient le spécialiste. S’il s’en est fallu de peu, une décennie plus tard, le Dr Blondeau voit bien que « c’est toujours difficile pour les patients ».
Lui souligne le « fatalisme » des Américains, certes avides de changement, mais sans savoir exactement celui auquel ils aspirent. En son for intérieur, il espère que « la grosse beigne » que Donald Trump a subie dans sa tentative de réforme de l’Obamacare aura calmé ses ardeurs sur l’accès aux soins. Mais le Dr Blondeau se méfie de la capacité de nuisance de l’entourage du nouveau président. Elon Musk, Vivek Ramaswamy (tous deux à la tête du Doge, département de l’efficacité gouvernementale, un « truc ubuesque » qui fait craindre au chirurgien des coupes dans les programmes sociaux) et Robert F. Kennedy Jr ne lui disent rien de bon. Ni pour le système de santé, ni pour les patients.
Les États-Unis consacrent 17,8 % de leur PIB à la santé (vs. 12,3 % pour la France). En 2018, 68 % des Américains étaient couverts par une assurance privée (par leur emploi ou par achat direct) et 34,1 % par une assurance publique (Medicare, Medicaid, anciens combattants), certains pouvant cumuler les deux.
30,4 millions de personnes (8 % de la population) n’ont aucune couverture sociale. Outre-Atlantique, le marché de l’assurance santé comprend plus de 1 300 payeurs. La mise en œuvre d’Obamacare en 2014 a réduit nettement le reste à charge des patients, qui reste toutefois presque trois fois plus élevé (1 030 euros par an) qu’en France (370 euros par an).
Source : Quotidien du Médecin 21/01/2024